mardi 30 août 2011

La terre des Chachapoyas

Chachapoyas n'est en fait pas seulement la ville dans laquelle nous sommes aboutis il y a cinq jours, mais également le nom de la civilisation qui peuplait les environs il y a 1200 ans, avant l'invasion inca, puis espagnole. Nous avons eu la chance d'explorer la terre des Chachapoyas dans une randonnée de quatre jours, combinant balades nauséabondes en minibus, randonnées pédestres qui massacrent les genous, et trotinnages en mules pas toujours commodes, dans un paysage alternant entre 2400 et 3300 mètres d'altitude. Et le tout fut une expérience parfaitement joviale.

Nous sommes partis vendredi dernier en minibus, accompagnés de Suzanne et Cornélia, les Allemandes rencontrées précédemment lors de la périlleuse aventure à travers la frontière Équateur-Pérou et dont la compagnie deviendra rapidement des plus aréables; Javier, un Espagnol téméraire et bon vivant venu conquérir l'Amérique du Sud de la Colombie à la terre de feu; Agosto, notre guide, Péruvien d'origine avec une large connaissance générale et parlant l'espagnol autant que le français, l'anglais, des bouts d'allemands, et sûrement autre chose; et deux autres touristes, une jeune Française et un Autrichien d'âge mûr qui ne partagent le véhicule que pour la première journée. Les chemins de terre grugés dans les flancs de montagnes et qui nous offrent de magnifiques vues en plongée nous mènent rapidement dans les hauteurs des environs, traversant de petits villages isolés principalement construits en grosses briques irrégulières de terre brune jaunâtre. Les villageois font leur train train quotidients, évitant parfois de justesse notre véhicule qui se prend pour un char de course et qui soulève derrière lui des nuages de poussière. Agosto ouvre une clotûre pour nous donner accès à un petit chemin rural et cahoteux entouré d'un champ d'herbe séché, jusqu'à ce qu'on s'arrête à la première destination, ou plutôt en surplomb de celle-ci. Partout au loin, d'immenses crêtes à peine recouverte d'herbes et de buissons plongent vers les rivières qui coulent au fond des vallées. Selon Agosto, il y a environ 300 ans, tout ce paysage assoiffé était recouvert de forêts de nuages humides qui furent complètement décimées par les fermiers pour en faire des pâturages.

Une demie-heure de descente abrupte nous mène sur une minuscule terrasse longeant une falaise rougeâtre où des vestiges de murs sculptés à même le roc sont encore partiellement debouts, formant de petites chambres carrées. Des sépultures du peuple Chachapoya, sans doute de la haute classe, construites ici pour éviter leur profanation. Quelques ossements humains gisent encore sur le site, probablement laissés là pour amuser les quelques touristes qui se rendent ici. Les médecins en Cornélia et Suzanne ressortent alors qu'elles s'amusent à les identifier. Puis c'est le retour en hauteur. Le chemin inverse est un peu dur, la pente étant abrupte et l'air un peu rare. Retour au bus pour la deuxième destination, une autre descente d'environ une demie-heure suivie de la remontée. Un lieu semblable où, vers le haut de la falaise, on distingue cinq ou six sarcophages d'environ deux mètres de haut, placés debout, le regard détaché fixant au loin. Et enfin, après encore une autre dose de nausées à serpenter les chemins d'une crête à l'autre dans le minibus, on descend vers une vallée aux teintes irréelles, la vallée Belén. Une rivière étroite y coule en méandres, entourée d'une plaine recouverte d'un mince couvert de végétation vert éclatant, semblable à du treffle et ne poussant pas plus haut que quelques centimètres. Un troupeau de cheval, bien commun de la communauté, y broute tranquillement, alors que Javier part rapidement à leur rencontre et se perd bientôt au loin alors que la lumière décline. Pendant ce temps, les deux autres touristes d'une journée repartent avec le minibus, et nous devons attendre le mec possédant la clé de la petite cabane au toit rose brûlé où nous dormons, lequel n'arrivera pas avant 18h. La température descendant rapidement, les gens restant, c'est-à-dire moi, Laurie, Cornélia, Suzanne et Agosto, préparons un feu de camp pour nous réchauffer et chasser les moustiques. Nous trouvons des copeaux de bois, du foin séché, une petite réserve de grosses branches coupées, et Javier, seul fumeur du groupe, et donc le seul à posséder le pouvoir de créer du feu, revient à temps pour allumer le tout avant de repartir voir ses chevaux. Chaleureuse soirée à parler de tout et de rien, en quatre langues mélangées, à rire, à regarder un ciel incroyablement étoilé et laissant glisser quelques étoiles filantes par ci par là, et dodo dans un dortoir aux gros lits mouelleux recouverts de trois épaisses couvertes.

Le lendemain, départ à pieds pour une randonnée d'environ sept heures. On monte tout d'abord en s'éloignant de la vallée, entre les pâturages d'où nous regardent passer des vaches bien cornues. Le chemin, parfois en grosses pierres irrégulières et parfois d'un sable blanc très fin qui rappelle que la mer recouvrait cette terre il y a des millions d'années, était utilisé par les Chachapoyas qui pouvaient l'emprunter pour rejoindre six de leurs agglomérations. Progressivement, nous arrivons au-delà des coupes effectuées par les paysans d'ici et grimpons jusqu'à une forêt de nuages aux lichens et mousses pendouillant de partout, et où les branches des arbres sont décorées de nombreux épiphytes, petites touffes vertes ou rouges et édentées pointant vers le ciel. Laurie voit un gros toucan s'enfuire sur notre gauche, modèle Fruit Loops dit-elle, alors que je n'entends que le battement de ses ailes. Nous arrêtons à un premier site archéologique, perdu dans les feuilles, les lianes et les mousses. Quelques maisons de pierres rondes, ou du moins ce qu'il en reste, où vivaient les Chachapoyas il y a environ 1200 ans. Au milieu de l'une d'elle, un trou dans le sol expose des vestiges de potteries et quelques ossements. Ce site était utilisé pour l'entreposage de biens ainsi que comme dernière demeure des membres de la famille momifiés afin de faire perdurer leur âme. En effet, dans la culture Chachapoyas, brûler un corps équivaudrait à brûler l'âme avec lui. Les corps ainsi momifiés et enfouis, les âmes demeures intactes et retournent d'où elles viennent dans le royaume des morts, sous terre.

Ensuite, descente de quelques heures vers le village de Congón où nous passerons la nuit. Les habitants nous saluent, vaquant à leur tâches quotidiennes. Quelques plantations de café et de plantains près du village, et encore des grains de café assemblés dans un grand bac pour qu'ils y fermentent. Nous sommes suffisament bas pour avoir bien chaud, et le soleil plombe et nous laisse en sueur. Nous pieutons dans une longue maison recouverte de chaux blanche et y profitons de la douche froide. À l'arrière, un balcon surplombe une scène quotidienne où plusieurs femmes préparent un repas pour la fête (laquelle?) du lendemain. Des milliers de plumes jonchent le sol, et des dizaines de poulets prêts à cuire marinent dans un bac et dans leur propre jus. À l'intérieur, un feu brûle dans un four en pierre pour faire bouillir de l'eau, autour duquel est assemblé un troupeau de cochon d'Inde (pas mauvais d'ailleurs, mais beaucoup trop de travail pour la quantité de viande). On comprend en les entendant pourquoi ils se nomment cuy en espagnols, c'est tout ce qu'ils savent dire!

Le lendemain, journée des mules. Chacun sur la nôtre, nous n'avons aucun contrôle. Deux hommes du village les dirigent en vosciférant à l'arrière d'elles et en leur fouettant ou bottant le derrière. Nous suivons pendant six heures de temps un chemin qui ne fait que monter et descendre sur des pentes escarpées, dans une forêt humide qui mouille les pierres parsemant la route et sur lesquelles les mules dérapent parfois. Je suis à l'avant avec Suzanne, pris avec un des hommes qui semble s'être donné comme mission qu'on devait arriver bien avant tout le monde à destination. Les bruits de la forêt sont ceux de sa radio personnelle. Laurie, elle, est à l'arrière, parfois un peu seule dit-elle, quoiqu'elle n'a pas a se taper la radio que j'entends. La première partie va plutôt bien, et on prend une pause au dîner, les genous en compote à cause de la torsion nécessaire pour se maintenir sur les bêtes. C'est également une pause pour ces dernières qui soufflaient un peu trop dans les dernières montées. Nous visitons pendant une heure un site archéologique semblable à celui de la veille et découvert il y a à peine quatre ans. Agosto nous amène à l'arrière d'une grosse pierre utilisée comme sépulture, cachette que peu de gens connaissent et où il tasse quelques pierres pour découvrir des fragments de poteries, des mâchoires humaines et quelques autres bouts d'os. On repare après le dîner, et la mule de Laurie prend un peu plus d'avance, bien que la mienne et celle de Suzanne continuent à se disputer la première place, et avec de plus en plus de vigueur. Chaque fois que l'occasion se présente, la deuxième course un peu pour dépasser la première qui ne se laisse pas toujours faire, menant une fois ou deux à des collisions. Soit elles étaient deux mules de tête têtues comme leur hybride d'espèce sait l'être, ou encore elles voulaient échapper au fouet de leur bourreau, suivant à l'arrière de la deuxième mule. Toujours est-il que plus on avance, plus le chemin va en montant, sur des chemins rocailleux, parfois étroits et surplombant des vallées qui semblent bien loins en-bas. En croisant une petite ferme, deux boeufs énervent nos mules, si bien que celle de Javier se met à faire du rodéo, et à sauter avec lui sur son dos. Il finit donc le trajet à pieds, suivant nos mules qui ne ralentissent pas leur rythme pour autant. Éventuellement, on franchit la frontière des forêts de nuages, l'altitude étant trop importante pour qu'elles y poussent, et on débarque de nos mules dans un paysage de nuages, d'herbes hautes et de fleurs colorées qui descendent vers les arbres d'où nous sortons. Encore une marche en altitude, puis une descente abrupte sur une terre batue qui passe subitement du blanc au rouge pour arriver dans la vallée qui mène vers Kuélap, 700 mètres plus bas. Les genous encore une fois finis, on rejoint nos chambres dans un petit hotel situé près d'une rivière où nous profitons en soirée d'un petit feu allumé par des gens trop saouls pour s'y réchauffer d'avantage. J'essaie de montrer aux autres un peu de musique québécoise, deux cuillères à la main, quelques airs qui viennent, mais un blanc complet pour les paroles.

Enfin, dernière journée, Kuélap. La forteresse des Chachapoyas, et le plus important site archéologique pré-Inca en Amérique du Sud. En raison de problèmes de communication, un minibus nous prend vers 10h plutôt que vers 7h, ce qui fait qu'on arrive avec tous les autres touristes sur le site plutôt que seuls avec notre petit groupe de six. Heureusement, les foules ici ne sont pas celles du Machu Pichu, même si les deux sites sont comparés en grandeur. Considérablement libéré de la forêt qui l'envahissait, et faisant environ 700 mètres par 100 mètres, Kuélap est construit en deux niveaux. Un immense mur de pierres, prolongement du sommet de la montagne, constitue le premier. Sur le dessus, de nombreux vestiges de maisons rondes sont présents, au milieu desquels se promènent quelques lamas. Le peuple et les Shamans y habitaient, alors que le deuxième niveau, auquel nous n'avons pas accès en raison des fouilles qui y ont lieu, était réservé aux classes supérieures. Quelques vestiges de maisons rectangulaires sont également présents, témoignant de l'invasion Inca qui eut lieu ici au 15e siècle. À l'exception de quelques chemins aménagés pour y circuler et d'une seule maison reconstituée avec un toit de paille, l'ensemble du site est intact, ce qui est fait sa richesse. Ces vieux murs de pierres si lourds d'histoire se découpent sur un fond de montagnes cultivés et de falaises dénudées. On y voit d'ailleurs d'immenses couches sédimentaires onduler d'un pic à l'autre, et on en devine la pression qui y a été exercé pour élever la cordillère.

Après ça, ce fut un retour ici, à Chachapoyas (la ville), où nous avons dû dire adieu au petit groupe avec lequel nous avons partagé ce fragment de vie. Ils nous manquent déjà tous, mais d'autres expériences sont à venir. Cette nuit, un autobus nous amènera à Chiclayo, sur la côte, où nous pourrons continuer de faire des Indiana Jones de nous!




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