mardi 13 septembre 2011

La cordillère blanche et Lima

Après le désert de la côte, dont les palpitantes aventures vous sont racontées par Laurie (lire: si vous avez pas lu le texte de Laurie avant celui-ci, remédiez-y à l'instant), un pénible autobus de nuit nous amène vers Huaraz, une petite ville standard d'ici, sans trop de charme mais pas désagréable pour autant. La ville niche à plus de 3000 mètres d'altitude, à la frontière entre la cordillère blanche, qui regroupe les monts les plus élevés sur la planète après l'Himalaya, et la cordillère noire qui, entre nous, devrait plutôt porter le nom de cordillère brune, n'affichant en cette saison que terre et herbes séchées.

Première journée. Nous trouvons moyen de profiter du transport d'une agence sans pour autant participer au tour offert. Une montée de trois heures dans les 4000 m et plus sans acclimatation préliminaire? Nan! On veut vraiment que le transport! Donc nous voilà dans un minibus qui zigzague sur les pentes cultivées où commence la cordillère blanche. De sympathiques petits villages aux habitations distancées et un peu désordonnées, quelques unes peintes de couleurs vives, et entourées de petits lopins de terre séparés par des rangées de buissons et épousant la courbe ondulante des monts sur lesquels ils reposent. Les arbres, rares, sont généralement des eucalyptus, regroupés en bosquets ou en rangs d'oignons. Un agriculteur laboure son champ à l'aide de deux boeufs qui traînent une petite charrue rudimentaire avec une seule pointe en bois, et derrière lui, bien haut, imposant malgré eux leur présence, d'immenses glaciers couvrent les sommets de la cordillère blanche qui semble ici à portée de main. On arrive tôt, et le soleil levant reflète d'un jaune vif la neige des sommets, alors qu'un peu plus bas, les nombreux bras des glaciers brillent sous l'effet de l'astre comme des milliards de cristaux. Le mont le plus près est Huascarán Sur, le plus haut sommet du Pérou, atteignant sur son pic le plus élevé (il en possède trois) une altitude de 6768 m. À partir de ce géant s'étend vers le sud une chaîne de pics enneigés qui se perd dans l'humidité de l'air. La vue est majestueuse et on aimerait qu'elle s'éternise un peu, mais trois ou quatre virages plus loin, les pieds des monts nous bloquent la vue des pics alors que le minibus s'enfonce dans la vallée du lac Llanganuco. Les falaises de roc noir qui nous accueillent dans la vallée doivent faire près de mille mètres de haut, avec des pentes presque verticales, et on devine un paquet de petits ruisseaux désordonnés qui coulent sous la couche végétale d'un vert décoloré qui couvre le fond. Éventuellement, les falaises laissent réapparaître quelques pics, et au même moment, on découvre le premier bassin du lac. L'ensemble des couleurs est indescriptible, mais je vais tenter la chose. Tout d'abord, tout en haut, les glaciers arborent maintenant une couleur blanche, parfois presque bleutée, alors qu'ils plongent sur le roc noir et gris vers le bas de pente. Ce même roc plonge éventuellement lui-même dans le lac d'un turquoise foncé impénétrable et dont les quelques plages planes sont de granite blanc, partiellement réduit à l'état de poussière. À l'endroit précis où le granite touche à l'eau du lac, et seulement là, une couche de rouille est déposée sur la pierre, décorant le lac d'une couronne dorée. Plus loin sur la rive, les arbres présents possèdent une étrange forme tordue rappelant un peu celle de racines. Leur écorce, d'une couleur allant du rouille au cuivré (d'où la couche de rouille sur la rive du lac peut-être?), est carrément lépreuse. Il s'y détache d'innombrables couches qui pendent de partout, aussi minces que du papier de soie. Et leurs feuilles composées aux folioles minuscules, d'un vert qui semble recouvert d'une poudre blanche, viennent complétées ce décor étrangement surnaturel.

Bref, après avoir vu tout ça, on continue notre chemin dans le bus. On passe devant le deuxième bassin du lac qui, bien que toujours impressionnant, est d'une couleur moins prenante que le premier. Et le bus s'arrête éventuellement sur la route, en surplomb d'un sentier qui continue dans la vallée, au-delà des lacs. Laissant le groupe filer, nous prenons notre temps en descendant dans un bosquet de ces petits arbres oranges et tordus jusqu'à l'endroit où débute le sentier. À travers les pâturages ou paressent quelques chevaux, nous avançons vers le fond de la vallée dans un paysage qui ne cesse de nous émerveiller. La rivière qui serpente près de nous, très peu profonde, est à notre grande surprise complètement transparente, contrastant avec les lacs en aval, et on discerne parfaitement les gros cailloux ronds et multicolores qui recouvrent son fond. De nouveaux glaciers auxquels s'accrochent quelques nuages apparaissent plus loin, et l'herbe jaunie et aplatie qui couvre ici la vallée est parsemées de gros monceaux de granite blancs, ou encore de fragments de falaises noirs qui sont venus s'y échouer. Encore quelques arbres lépreux ici et là, et quelques humbles buissons dispersés de part et d'autre de la rivière (un étrange conifère que je ne connais pas mais qui se trouve partout en altitude, avec les branches comme de gros doigts d'épines moelleuses), donnent l'impression que chaque roche, chaque brin d'herbe, chaque particule de cette vallée a été placée de façon a créer un portrait parfait, une parfaite oeuvre d'art. Moi qui croyait que seuls les Chinois étaient capables d'une telle prouesse!

Après avoir marchés jusqu'au fond de la vallée et pris beaucoup, beaucoup trop de photos, et avant que le sentier ne se mette à grimper définitivement, nous revenons sur nos pas et longeons la rivière jusqu'au lac. Un rocher ou deux par ci par là comme table ou comme siège pour regarder tranquillement les environs et y respirer l'air des montagnes, et hop, on re-saute dans le minibus qui revient pour nous ramener à Huaraz. Le lendemain, un tour vers un autre site archéologique (c'est qu'il y en a partout ici!), vestiges de la civilisation Chavín cette fois. C'est le genre d'endroit qui, lorsqu'il se trouve à trois heures ou trois heures et demie de route de notre lit, paraît finalement beaucoup mieux sur papier que sur place. Sur papier. Construit entre 1400 et 800 av. J.-C., le site, qui est un temple comme d'habitude, démontre toute l'ingéniosité du peuple Chavín (et également que tout ce qu'on admire tant des Incas, dans notre grande ignorance, et de toutes leurs avancées technologies, existait déjà 2500 avant leur ère). Construit autour d'un point central qui, par un système de miroir, fut déterminé par la réflexion du lever du soleil au solstice d'été, le temple de Chavín a été aménagé en plusieurs niveaux, et sur plusieurs périodes. Ses infrastructures les plus récentes, contrairement aux premières, ont été conçues de façon à résister aux tremblements de terre. Avant de construire le plaza central, les Chavíns ont aménagé tout un système de canaux de drainage sous-terrains pour évacuer les eaux de pluie. Puis, à l'intérieur du temple, un impressionnant réseau de corridors sous-terrains, tous placardés de grosses pierres carrées et incluant de nombreux conduits d'aération, permettent de circuler entre les 26 galeries qui y ont été découvertes. Ces galeries et corridors, je dois dire, sont encore impressionnants, quoiqu'on ne peut en visiter qu'un minimum, le site étant toujours sujet à l'excavation archéologique. Pour le reste... En débarquant d'un trois heures et demie d'autobus, après un départ retardé d'une heure et demie, et après avoir vu Kuélap, Chan chan, et les autres sites, il faut dire que voir quelques petits murs de pierres de plus n'était pas des plus impressionnants.

On aurait bien aimé profiter de la cordillère blanche un peu plus, gravir un sommet et marcher sur un glacier, mais notre forme légendaire n'était pas du même avis. Et puis, quand tout est à plus de trois heures de route pour l'allée seulement, on se tanne vite. Donc, un départ ce fût, et retour dans le mêmes paysages désertiques qu'à Chiclayo et Trujillo, avec comme seule verdure quelques champs de canne à sucre industriels, ou encore quelques tapis inexpliqués de verdure recouverts de taches de mauve ou de blanc où des fleurs ont écloses. Après un petit somme, je me réveille alors que l'autobus longe la côte. La route a été grugée sur d'immenses buttes de sable qui plonge à 45 degrés dans l'océan Pacifique. On a du mal à comprendre comment la route peut tenir là-dessus, et même comment les petits murs de sable difformes qui tiennent le reste de la butte ne cèdent pas sous le poids pour laisser dégringoler tout le reste. Surtout que vers l'ouest, de l'autre côté de l'autobus, je ne vois même pas finir la butte. Il n'y a que l'océan par la fenêtre, rien d'autre. Et c'est sur ce paysage qu'on voit au loin apparaître Lima, entre la côte et le désert, dans un nuage de poussière et de brouillard qui lui est propre.

À première vue, la ville n'est que ça, une poussière brune qui semble aussi collante que volatile. Les premières habitations apparaissent sur les collines environnantes comme de petites cabanes de bois peintes en blanc et désordonnées, pas plus grande qu'une chambre et reliées par des chemins de terre piétonniers. Éventuellement, les cabanes s'allongent et se colorent un peu, mais malgré ces efforts, tout est brun, recouvert de poussière, de sable, de terre. Même quand les habitations se densifient en de petits blocs carrés construits en briques rouges les uns sur les autres, et que des arbres commencent à se pointer le nez, tout demeure brun. Les feuilles sont couvertes de poussière, les briques sont ternies par le temps, et la cordillère est à peine distinguable dans la poussière qui cache le bleu du ciel. À l'occasion, un édifice récemment peint vient percer un peu la couleur ambiante d'un bleu vif ou d'un jaune vif, mais sans plus. Et viennent ensuite les beaux quartiers. Le centre de Lima. La poussière est miraculeusement éliminée, les édifices se diversifient en un mélange d'imposantes façades coloniales et de trucs plus modernes, et les couleurs reviennent. Quelques routes piétonnières en pierre, des plazas bien entretenus, des policières aux grandes intersections qui font la circulation du haut de leur miniature podium circulaire où sont affichées des pubs de Inca-kola (ça goûte un peu comme du crème soda dans lequel quelqu'un aurait versé un peu de Tide au citron... et qui aurait cru que les Incas avait un si bon nom commercial pour un cola!). Et c'est là, dans les quartiers coloniaux, que nous sommes présentement installés. Avant-hier, on a visité la côte, un coin un peu plus moderne, avec un peu plus de gratte-ciels, où des gens profitent des hautes falaises et du vent fort et constant pour décoller en parachute sans moteur, seulement équipés d'un espèce de gros sac à dos qui doit faire circuler l'air d'une manière particulière autour d'eux. Au bas de la falaise, dans les vagues qui doivent être froides à ce temps-ci, des dizaines de surfeurs attendent la vague parfaite. Couchés sur leur planche, ils ressemblent vraiment à des otaries de loin. Pas surprenant que les requins s'y méprennent...

Hier, on a profité de la foire gastronomique qui a lieu toute la semaine dans le parc de la culture de Lima. Ça aurait presque pu être bien si quelqu'un avait réfléchi à l'organisation de tout ça. Les chefs les plus réputés du pays sont supposés être présents, avec toutes les spécialités péruviennes à leur meilleur au menu. Sauf que... Déjà au début, une heure d'attente dans la file pour acheter le billet qui nous donne accès au site. Les billetteries se trouvent dans un centre d'achat situé à 20 minutes de marche de l'entrée du site. Donc déjà, faut trouver, la billetterie, puis l'entrée, mais tout ça ne cause pas problème. Une fois à l'intérieur, malgré le prix d'entrée, tout est payant. Et le bordel commence. Des files d'attente qui partent de partout et vont nulle part, dans les petits chemins d'un parc qui n'a pas été conçu pour faire la file. Les endroits les plus populaires sont également les plus bordéliques, alors que plus loin, les restos moins achalandés sont situés sur une allée plus large, là où il y aurait justement plus de place pour les longues files. On se fraie un chemin dans la foule, regardant comme des affamés les possibilités qui semblent pourtant hors d'atteinte. Laurie trouve un peu de chocolat pour se soulager. Puis, écoeurés des files, on se rend sur la place du Japon, pays invité, où la file est plus petite. Arrivés pour commander, on apprend qu'il faut d'abord aller faire la file ailleurs pour acheter des tickets nous donnant accès à leur boustifaille. Mais c'est pas le cas pour tous les restos! Faut donc, en temps normal, décider ou non de faire la file pour acheter des tickets, faire la file au resto, demander avec quoi il faut payer entre argent ou tickets, et soit être chanceux dans ses choix, soit payer comptant et avoir acheter des tickets pas remboursables pour rien, soit pas avoir de tickets et devoir aller en acheter (notre cas). Donc. Une autre file pour les tickets. Retour au Japonais. Et enfin, après deux heures de dur combat, on peut manger. Et bordel. On se souvient pourquoi on mange d'ordinaire asiatique. Un simple poulet pané sur riz avec lanières de gingembre marinées et rondelles d'oignons verts, dans une sauce de saké, sauce soja et un petit je-ne-sais-quoi sucré. Simple, efficace, parfait! On n'a que faire des spécialités péruviennes quand un grand chef japonais est sur place!

Et aujourd'hui, mise à jour du blog (vous vous en doutiez peut-être). On devrait quitter Lima demain ou le jour d'après pour continuer à longer la côte vers le sud. Voilà!

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