dimanche 12 février 2012

De Munnar a Hampi


Après être passés par une terre inondée de palmiers sur la côte du Kerala et par les plantations de thé enchanteresses de Munnar, nous sommes redescendus vers les basses terres pour de plus ou moins bonnes raisons: prendre un train (surnommé le Toy train) qui nous ramènerait vers les hautes terres en nous offrant, selon un Français croisé à Kochi, des vues imprenables sur la jungle et les collines traversées. Vous comprendrez donc l'ironie s'étant emparée de nous alors que, sur la route entre Munnar et Coimbatore et éventuellement Mettupalayam, nous contemplions un paysage dans le seul but de le contempler ensuite à sens inverse à bord d'un train. Mais bref, nous quittâmes rapidement les plantations de thé pour descendre au milieu d'une forêt tropicale sèche sur une route zigzaguant à n'en plus finir, et sur des courbes aux angles parfois si aigus que l'autobus devait s'y prendre à deux ou trois fois (avance, recule, avance, recule) pour les franchir. D'immenses champs de canne à sucre s'étendant à perte de vue nous accueillîmes à notre retour en basses terres. Un peu partout, plantés dans un peu tous les sens, d'imposantes éoliennes tournaient plus ou moins rapidement selon la volonté du vent. Aussi, quelques plantations de cocotiers bordaient les routes, comme partout d'ailleurs. Les noix de coco étant utilisées dans la fabrication de maints produits de tous les jours (fibre, lait de coco utilisé dans beaucoup de plats, huile de coco utilisée pour la cuisson, artisanat, etc.), pas étonnant d'en voir autant.

Ici comme ailleurs en région rurale, les maisons sont recouvertes de chaux et généralement peintes de couleurs vives, quoique souvent effacées ou noircies par les éléments. Mais il ne suffit que d'une nouvelle couche de peinture et l'endroit est comme neuf. L'Inde, d'ailleurs, devrait tout d'abord être définie par ses incroyables couleurs vives. Sur les sublimes vêtements des femmes, bien sûr, comme vous l'a décrit Laurie, mais également sur les maisons, dans les marchés où les couleurs brutes sont vendues en poudre (mélange de poudre de roche et d'un colorant naturel, minéral ou végétal) comme nous avons vu au marché de Mysore. Les camions de marchandises sont souvent recouverts de motifs colorés plus ou moins complexes selon la volonté du chauffeur à décorer son gagne pain; les vaches qui bloquent stupidement le trafic dans un peu toutes les villes ont généralement les deux cornes recouvertes de couleurs bien distinctes et peuvent même être entièrement saupoudrées de jaune (je soupçonne un abus de curcuma); les temples indus ne sont eux-mêmes qu'un étalage de couleurs, présentant des toitures des plus détaillées et colorées; et nécessairement, les publicités aussi! Plutôt que de chercher à créer une belle image propre et finement travaillée, les tendances infographistes ici semblent plutôt encourager l'abondance de couleurs, de contrastes, d'écritures qui se chevauchent, et finalement, la confusion totale. Et parlant de pubs, il n'en manque pas. Près des villes, les routes en sont bondées. De beaux grands panneaux qui cachent parfaitement tout le paysage qu'on doit deviner de l'autre côté. Et les choses ne s'améliorent pas en ville, et particulièrement dans les villes moins touristiques, comme Mettupalayam par exemple. Au-dessus de chaque petite boutique crasseuse, deux ou trois panneaux délavés annoncent un magasin. Il devient vite difficile de deviner quelles pancartes annoncent un magasin réel, et lesquelles sont là sans raison. Bien sûr, les petits bâtiments commerciaux possèdent fréquemment un deuxième étage où, peut-être pense-t-on, il pourrait y avoir le magasin annoncé (il s'agit souvent dans notre cas d'un café internet qui n'existe pas... et qui, soyons réalistes, ne servirait pas de café s'il existait). Mais non, les boutiques du deuxième sont barricadées à coup de tôle rouillée. Et c'est dans une petite ville semblable à celle-là que nous nous sommes levés aux petites heures du matin pour aller prendre un train.

Quelques wagons poussés (et non tirés) par une vieille locomotive datant des années 30 (l'attraction principale du train), nous sommes regrimpés en hautes terres à au moins 15 km/h. Belles vues, certes, avec des plantations de cocotiers au début qui laissent place à une jungle dense, à de hautes collines sillonnées de rivières, à des tunnels où la boucane de la locomotive envahie notre compartiment et étouffe tout le monde dans sa chaleur, et finalement à des plantations de thé et à de petits villages colorés... mais est-ce que ça valait le détour de deux jours en villes troues?...

Ooty! Une autre station d'altitude pour profiter encore d'un peu de fraîcheur (à vrai dire, on commençait à ce moment à avoir hâte de la vivre cette fameuse chaleur indienne). Semblable à Munnar, on y fait une petite randonnée en compagnie de quelques Français (c'est qu'ils poussent partout ici!) entre des plantations de thé et des villages de minorités ethniques. La clémence du climat et quelques champs en cultures maraîchères nous rappellent les hautes terres centrales du Vietnam. On apprend que les plantations ici, contrairement à celles que nous avons vu à Munnar, appartiennent aux communautés locales. Ailleurs, le thé est généralement la propriété de Tata, un entrepreneur qui doit posséder au moins le tiers du pays (avec les plantations Tata, Tata Motors, et bien, bien d'autres). Les paysans dépossédés de leurs terres peuvent travailler pour Tata pour un mince salaire de 130 roupies par jour. Ça équivaut à un peu moins de 3$. Bien sûr, le coût de la vie est moins élevé ici, mais pour vous donner une idée, une bouteille d'eau d'un litre coûte entre 15 et 20 roupies. Les travailleurs sont du moins logés dans de petites maisons longues compartimentées, et les médicaments leur sont payés ainsi que les frais scolaires de leurs enfants. Toujours est-il que, autour de Ooty, ce n'était pas le cas. Les communautés étaient semble-t-il maîtres de leurs champs et de leur avenir. Je me dois aussi de mentionner que cette journée s'est terminée avec vue sur un magnifique cerf mâle au pelage d'un brun chocolat étincelant!

Je passe des trucs... pour nous amener à Sulthanbatery (et non, nous non plus on ne retient pas tous ces noms par cœur du premier coup). Une autre ville hors circuit touristique, ou presque, et on constate qu'en fin de compte, il est difficile de se sentir entièrement à l'aise, peu importe la ville. Dans les grandes villes, la plupart des gens nous ignore, mais ceux que ne nous ignorent pas ne le font pas de main morte. Nous harcelant depuis le coin de la rue pour nous vendre leur tuk-tuk à des prix cinq fois trop élevés, ou n'importe quel tour guidé ou cossin inutile. Ou encore, et bien sûr, il y a ceux qui nous quémandent, de celles qui font attention à placer leur sari (pas toujours le moins coûteux, de toute évidence) correctement tout croche afin de placer leur bambin en évidence jusqu'à ceux qui, complètement démunis, nous inspirent une réelle pitié (plus rares ceux là jusqu'ici...). À l'opposé, dans les petites villes, personne nous harcèle pour quoique ce soit, donc un relâchement de ce côté là, mais TOUT LE MONDE nous zieute abusivement. Pas de quoi nous mettre à l'aise nous plus. Mais pas de quoi nous empêcher d'atteindre nos buts qui, à Sulthanbatery, étaient de visiter le sanctuaire de vie sauvage Wayanad, secteur Muthanga, pour tenter d'y voir quelques éléphants sauvages. Et bien mission réussie! On n'a pas de super photos, mais peu importe, Socrate a rencontré ses cousins (lui-même est originaire d'Afrique semble-t-il...). Avant le petit safari en jeep toutefois, nous sommes allé visiter des grottes avec quelques pétroglyphes datant de 2500 ans, pensant candidement qu'on y serait presque seuls. Mais ce mot n'existe pas ici. Les hordes de touristes indiens sont infinies, défilant inlassablement à tous les points qui affichent un moindre signe d'intérêt. Mais ce qui a retenu notre attention, comme à bien des endroits d'ailleurs, ce sont les singes, pas les grottes. Nous avons bien vu quelques fois une espèce ou deux de lémures, mais les singes les plus communs sont d'un gris clair avec un visage rouge ou rose. Il est étonnant de voir comment ils se sont adaptés à la présence humaine, et combien ils nous ressemblent dans leur façon d'être (vous avez déjà vu un singe piger dans son sac de chips depuis sa branche?). Et ils nous aident à nous rappeler qu'on est loin de chez nous quand, par exemple, l'autobus s'étant arrêté sur le chemin entre Munnar et Coimbatore, deux singes entrent par la fenêtre juste devant nous pour voir ce qu'ils pourraient bien voler. Ou lorsque, à un arrêt de train en allant vers Ooty, une horde de singes sortent de la jungle pour venir voir ce qu'ont à offrir les touristes du jour. C'est qu'ils savent aussi quémander! Comme sur le chemin menant à ces grottes à Sulthanbatery. Deux mères singes restent plantées là, leur petit près d'elles, à attendre que la générosité des passants leur rapporte quelque chose (et on repense soudain à certaines mendiantes croisées dans les villes...). Et Ô combien il demeure stupéfiant de voir le contact s'établir de main à main entre un bon samaritain doté d'un sac de pop-corn et la guenon mendiante. Stupéfiant également de constater que la plupart des indiens donneront aux singes s'ils ont de la nourriture avec eux.

Après Sulthanbatery, Mysore, reconnu pour le palais du Maharaja qui y a été reconstruit au début du 20e siècle, suite à un incendie. Dessiné par un anglais, le style mélange l'architecture européenne à celle indienne. Le résultat est un palais débordant de couleurs toutes dans les teintes de bleu, turquoise, orange, marron ou beige, avec une cour intérieur, des colonnes rondes (Europe) ou carrées (Inde), des plafonds finement sculptés en bois teint ou peint, et des myriades d'autres détails dans les plafonds, les portes ou les tuiles. Le tout est surmonté de tours « à la musulmane » (vous savez, comme le Taj) et décoré de dizaines de tableaux représentant Maharajas, cérémonies ou divinités pulpeuses. Ensuite, marché de Mysore, en plus d'une petite aventure dans un temple sur la colline Chamundi qui nous a permis de comprendre pourquoi les Indiens ne savent pas se tenir dans une ligne d'attente (en effet, impossible de tenir sa place sans se faire bousculer pour tentative de dépassement)... c'est culturel.

On arrive à ce temple qui semble plus qu'ordinaire, mais trois files attendent pour entrer, le temps d'attente variant pour chaque file en fonction du prix payé (ce qu'on ne comprendra qu'après coup). Déjà dans la file pour acheter les billets, une petite femme bien en chair me bouscule et me dépasse. Ce que je ne savais pas, c'est qu'elle commençait à peine à se mettre dans l'ambiance. Car une fois rentrés, c'est la débandade. Il n'y a plus d'ordre, qu'un mouvement grossier, une vague de gens nous entraînant vers un but, mais nous bousculant une fois le but à portée de main, que ce soit une flamme dont il faut prendre la chaleur avec les mains et se la passer sur le visage pour se purifier, une gorgée d'eau déposée au creux de la main droite pour la boire, un lieu où on doit faire une offrande... Toutes les attractions spirituelles se succèdent rapidement dans une bousculade irrationnelle et incontrôlée, et après 10 minutes, la vague nous éjecte dehors. Complètement bizarre. Voilà pour le spiritualisme.

Après deux jours de calvaire à Bangalore pour se payer un petit extra qui nous évitera des heures à passer au fin fond de cafés internet crasseux où ils servent pas de café (vous avez remarqué les accents dans le texte?), nous voici à Hampi. À première vue, l'endroit est parmi les plus beaux qu'on a vu au pays. D'immenses rochers arrondis sont accumulés et empilés de façon incompréhensible partout dans le coin, sur les collines de terre orangée comme dans le lit de la rivière qui coule pas loin. Une combinaison bien particulière d'éruptions volcaniques et d'érosion serait à la source de ce paysage surnaturel. Un peu partout, de larges piliers rocheux soutiennent encore quelques immenses dalles en pierre servant de plafond, vestiges d'une citadelle médiévale autrefois prestigieuse. Nous sommes ici entourés de rizières inondées et de plantations de bananiers s'étendant entre les collines de rocs en méandres de verdure. Et partout, ces cultures se laissent ombrager par quelques palmiers qui poussent sur les petites digues entre les champs. Des temples plus imposants reposent également ici et là. Leurs portails immenses et finement sculptés, comme les tourelles purement décoratives et de plusieurs niveaux qui les surplombent, nous rappellent un peu l'architecture des temples d'Anchor. Un des temples au centre du bazar de Hampi est d'ailleurs encore utilisé pour des rituels, pour abriter une famille de singe ou pour l'éléphant du temple qui bénie les passants contre quelques sous. L'endroit prend par conséquent un air beaucoup plus vivant que le reste des ruines, nous ramenant un peu dans le passé, à l'époque où toutes ces ruines étaient encore fréquentées par des milliers de pratiquants. Aujourd'hui, ce sont surtout des touristes qui y mettent les pieds. Nous avons d'ailleurs retrouvé tous les touristes blancs qui semblaient absents du reste du pays. Ils étaient tous ici, à se la couler douce, comme on continuera de faire dans les jours à venir en explorant davantage le coin et les ruines. Des photos devraient suivre pour les plus visuels d'entre vous!

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