lundi 12 mars 2012

De Mumbai a Varanasi


On part de loin. Goa semble déjà une éternité en arrière. Faudra pardonner notre paresse!

Donc, on prend un autobus de Goa pour atteindre le point de départ de notre autre autobus, lequel devait nous amener à Mumbai, mais nous laisse plutôt sur la bord de la route dans une halte où attendent impatiemment un paquet de touristes qui, comme nous, ignorent ce qui se passe. On finit par se faire dire que notre autobus, en pièces et au garage, ne se pointera pas avant longtemps, et qu'on peut payer une différence pour embarquer dans un autre bus, moins confortable celui-là, et qui nous laissera à l'autre bout de la ville de Mumbai, à l'équivalent de 20$ de taxi de l'endroit qu'on aurait dû atteindre. Mais ça, bien sûr, on l'apprendra seulement en débarquant. Vous le devinez sûrement, les transports en Inde sont un charme! Et partout sur les affiches touristiques, il est écrit Incredible India, ce qui ne pourrait être plus juste!

Bref, Mumbai. La première chose qu'on y voit, c'est justement qu'on y voit moins. Une pollution atmosphérique, odorante par endroit, couche un respectable brouillard sur la ville. Puis, les premiers bidonvilles apparaissent en deux étages superposés de tôle, de carton, de tissus et autre bric-à-brac où s'agitent des milliers de gens, se réveillant lentement avec le jour nouveau, s'accroupissant ici et là dans un terrain vague situé près de la route pour accomplir leurs besoins matinaux, vivant leur vie, payant leur loyer. Car à Mumbai, aucun coin n'est perdu, chaque petit bout de lopin de terre semble être une opportunité pour faire de l'argent, si bien que même les dessous d'escaliers de traverses piétonnières sont séparés par des draperies en deux petits loyers grands comme des garde-robes occidentaux. Ainsi, pas besoin de se battre pour son lit de fond de poubelle, chaque personne a sa place si elle paye son loyer.

Et cette apparente désorganisation dans laquelle rien ne semble officiellement établi est exactement à l'image de Mumbai dans tous ces aspects, qui elle-même est à l'image de l'Inde. Désorganisée, parfois chaotique, gérée d'une manière incompréhensible, la ville fonctionne malgré tout parfaitement bien. Il faut probablement et tout simplement être né Indien pour comprendre l'ordre dissimulé dans ce fouillis. Au sud, plusieurs bâtiments d'influence européenne, mais mariant également des styles perses comme indiens, se laissent paisiblement abîmer par l'âge. Le plus beau, le terminal de train, ressemble à une gare anglaise au style gothique, mais avec des tourelles bombées comme le seraient les dômes d'un palais de sultan. Ailleurs dans la ville, la diversité prend d'autres formes. D'immenses grattes-ciels modernes indéfiniment en construction poussent de façon éparse sans créer de réel centre urbain alors qu'à leurs pieds, de vieux immeubles à logements décrépis d'où pendent des vêtements multicolores sont le théâtre d'un trafic routier diabolique. Nous avons eu droit à nos meilleures pâtisseries indiennes, à nos pires caris (question de malchance j'imagine), à nos premiers vrais quêteurs assidus à leur tâche sur leur même bout de trottoir, et à notre premier train de ville, efficace et à un prix ridicule. On a particulièrement aimé le message de bienvenue avant le départ, surtout la section qui nous disait : « Veuillez vérifier qu'il n'y ait pas de colis suspect sous votre siège. Ce pourrait être un explosif. » Super, merci d'avertir!

On a aussi profité de notre séjour à Mumbai pour nous rendre à Aurangabad afin de visiter les grottes d'Ellora et d'Ajanta. Les premières, contenant 34 grottes, ont été sculptées autour du 8e siècle ap. J.-C. La majorité sont hindouistes ou bouddhistes, la centrale étant la plus impressionnante, car elle présente un des plus grands temples monolithiques qui soient. Un peu dans le même style que les temples de Hampi, celui-ci a été entièrement grugé dans la colline rocheuse sur laquelle il repose, avec comme d'habitude, de nombreuses sculptures, gravures et reliefs sur tous les murs et colonnes. Un autre temple marquant, bouddhiste celui-là, possédait une façade donnant sur la parois rocheuse, et une grotte intérieure épousant un peu la forme d'une cathédrale avec ses colonnes de chaque côté, un plafond arrondi et l'idole au bout, en l’occurrence un gros bouddha méditant (ce qui, en y réfléchissant un peu, me paraît quand même moins macabre qu'un Jésus crucifié). Les grottes d'Ajanta sont quant à elles reconnues pour leurs fresques qui remontent jusqu'au 2e siècle av. J.-C. Malheureusement, on y a presque rien vue tellement il y faisait noir, aucune lumière autre que celles déjà en place n'étant permise afin de ne pas abîmer les œuvres. L'endroit était malgré tout très beau, dans une vallée en U asséchée comme le reste du paysage autour (malgré quelques arbres distancés qui réussissaient à garder leur verdure), et où toutes les grottes étaient creusées dans la parois rocheuse extérieure du U.

Après un retour d'un jour à Mumbai, un vol nous fait sauter un bon bout de pays jusqu'à Varanasi. Très vite, on apprend à développer un fort rapport amour-haine avec l'endroit, si bien qu'on ne sait toujours pas quel côté a triomphé. Aussi fascinant qu'est la ville et la vie autour du Gange, il a été par moment un peu difficile de ne pas perdre notre sang froid, et on y a laissé beaucoup d'énergie et quelques plumes. Varanasi comme telle est une ville qui bouge sans cesse. Les rues bourgeonnent de motos, de vélos et de tuk-tuks, et dans la vieille ville où les rues sont à peine assez étroites pour que passe une moto, ce sont les piétons qui dominent dans un déferlement incessant. Des dizaines de boutiques offrent à boire, à manger, souvenirs et vêtements, et tous tentent dans nous pêcher au passage. Tout comme Mumbai, Varanasi représente bien l'Inde, mais à sa façon, moins dans sa diversité que dans son esprit qui dégage tout ce qui fait l'hindouisme. Et bonne chance pour vous frayer un chemin dans la vieille ville le soir, lorsque les gens se bousculent jusqu'aux temples ou aux minuscules idoles plantées ici et là dans des fenêtres creusées dans les murs à cet effet. Mais tout ça est bien et ne fait que rajouter à ce qu'on voit vraiment à Varanasi, c'est-à-dire environ 3 km de temples qui longent le Gange et dont les escaliers descendent dans le fleuve. C'est là que la vie se déroule pour tous, mais aussi là où elle prend fin pour beaucoup. Les gens se baignent dans ce fleuve sacré, s'y lavent (ou s'y salissent...), y lavent leurs vêtements, alors que juste à côté, à tous les jours, des bûchers sont allumés pour y brûler des corps enveloppés d'un tissu coloré et ornementé. Les barques vont et viennent pour amener des touristes d'un temple à l'autre, des groupes religieux vers une procession qui prend lieu de l'autre côté du fleuve, ou le bois utilisé pour les bûchers. Le soir tombé, des fleurs de lotus allumées d'une flamme sont laissées à la dérive en offrande sur le fleuve, et au temple principal, une cérémonie religieuse qui implique musique, feu, éventails et sons de cloche a lieu tous les soirs, menée pas cinq ou six jeunes hommes habillés tout de blanc ou de doré. Et l'atmosphère créée par tout ça est incroyable. Marcher le long du fleuve sur les marches des temples, contourner les buffles, regarder dériver les bateaux, croiser un homme qui fait des galettes de fumier pour les laisser sécher au soleil, voir le haut d'un corps à demi brûlé sortir d'un bûcher trop petit qui l'a mal soutenu, et voir simplement les gens vivre dans cet endroit si sacré à leurs yeux, est une expérience unique. Mais...

Mais ce que Varanasi reçoit, Varanasi conserve. Sortir de la ville fût un enfer. Car on n'avait pas prévu le Holi, il faut dire. Le Holi est une fête où, en gros, il y a une guerre de teinture dans les rues. Bien préparés, j'imagine qu'on aurait pu apprécier... Les enfants commencent la veille. Notre première journée dans la ville, on croise quelques touristes qui nous souhaitent bonne chance, leur linge beurré de taches roses. Et très vite, on croise des enfants, bouteilles de teintures artisanales ou fusils à l'eau à la main, menaçant de nous enduire de teinture. L’hôtel étant trop éloignée pour y retourner et choisir le linge qu'on veut bien perdre, Laurie a le temps d'acheter un pantalon pour sauver le sien, moi un chandail, mais voilà. On se fait avoir, et ce n'est pas une teinture qui peut partir. Même chose le lendemain, quoiqu'on se fait fortement suggérer d'éviter de sortir jusqu'à 14h car avant ça, tout le monde participe, et on peut très bien se faire déchirer le linge puisque c'est permis (il va sans dire que c'est une fête très masculine, aucune Indienne adulte ne participe). Bref, ça continue ainsi, et même après l'heure du bain, lorsque tout le monde se rhabille proprement, un enfant ne peut s'empêcher de s'attaquer à un touriste propre (en l'occurence, moi) qui refuse de le payer... pour se faire teindre... enfin, rien à comprendre. Et sans compter que toutes les surfaces de la ville sont colorés et que si on n'y prend pas garde avec notre beau linge propre, on peut aisément se rebeurrer. Bref, à nous deux, quatre chandails, deux pantalons et une paire de souliers beurrés plus tard, on se sort du Holi. On sait maintenant ce que c'est. ET... On apprend aussi, dans tout ce beau bordel, que ça congestionne toutes les agences de transport, et qu'il est pratiquement impossible de sortir de la ville pour rejoindre Delhi. Pas d'autobus, les trains sont pleins, et à chaque jour qu'on hésite pour l'avion à cause du prix, et bien il double le lendemain. Après trop de détours, un train de nuit annulé qui nous oblige à traîner dans les rues à des heures pas recommandables, des chauffeurs de tuk-tuk détestables, on finit par plier à l'inévitable. Épuisés, on prend un avion beaucoup trop cher pour Delhi, colorés à souhait. Au risque de me répéter : vous le devinez sûrement, les transports en Inde sont un charme! Et partout sur les affiches touristiques, il est écrit Incredible India, ce qui ne pourrait être plus juste! Et comme j'ai dit à Laurie, j'ai appris deux choses importantes sur Varanasi dans toutes ces expériences. De un, si l'endroit est si sacré, c'est sans aucun doute parce que c'est la ville où on y utilise le plus de bon jargon d'église québécois; et de deux, si l'endroit est si convoité par les pèlerins qui décident de venir y finir leurs jours, c'est tout simplement parce qu'une fois arrivés, ils n'ont plus la force d'essayer d'en ressortir.

Le passage à Delhi fut très bref, juste de quoi y voir beaucoup de trafic (toujours étonnant de voir une mule traîner une charrette sur une route large de quatre voies en pleine capitale), quelques laveurs d'oreilles ambulants (ce n'est pas une blague), et on a attrapé un autobus pour McLeod Ganj (mieux connu sous le nom de Dharamsala), la ville d'accueil du Dalai Lama et de tout le gouvernement tibétain en exil. On vient d'y arriver, mais on adore déjà. Après la folie des grandes villes et du Gange et, avouons-le, une certaine écoeurantite de l'administration et de la désorganisation indienne, un petit village tranquille majoritairement tibétain où les gens sont calmes et sereins est tout ce qu'on souhaitait. Le drapeau de leur patrie vole au vent, ainsi que les prières sur ces typiques banderoles colorées (le nom m'échappe), le climat est frais, la ville est propre et entourée de forêts de conifères, et de notre balcon, on voit la vallée descendre vers le sud dans les plaines asséchées, alors que les pics enneigés de l'Himalaya nous domine au nord. Nous partons demain pour le monastère Tushita qui nous accueillera du 13 au 22 mars. On y fera une retraite avec cours d'introduction à la philosophie bouddhiste tibétaine. Aucune communication avec l'extérieur permise, alors pas de panique si on ne répond pas à vos courriels. Après, qui sait combien de temps on restera ici. On se sent déjà si bien chez les Tibétains...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire